Suite à notre café du 18 juin, voici une bibliographie succincte et le plan détaillé de la présentation de Jan-Pierre CENDRON :
Bibliographie
- Boncoeur Jean, Thouément Hervé, Histoire
des Idées économiques (2 tomes), collection Cursus, éditions Armand Colin, 2014
- Denis Henri, Histoire de la pensée
économique, collection Quadrige, PUF, 2008.
- Keen Steve, L'imposture économique, Les
Editions de l'Atelier / Editions ouvrières, 2014.
- Maris Bernard, Keynes ou l’économiste
citoyen, Presses de Sciences Po, 1999.
- Maris Bernard, Anti manuel d’Economie,
Editions Bréal, 2003.
- Valier Jacques, Brève histoire de la
pensée économique, collection Champs
essais, Flammarion, 2014.
- Dans
un genre journalistique, mais pas inintéressant :
- Mauduit Laurent, Les imposteurs de
l’économie, Jean-Claude Gawsewitch éditeur, 2012.
Plan détaillé
L’Economie est-elle
une science ?
L’économie
est souvent baptisée dans le monde universitaire, notamment anglo-saxon, du nom
de « sciences économiques ». Le véritable intitulé du « prix
Nobel d’économie » n’est-il pas « prix de la Banque de Suède en sciences
économiques en mémoire d’Alfred Nobel » ? Peut-on pour autant parler
d’une véritable science ? D’une science dure ? D’une science
humaine ?
L’utilisation
de statistiques et de modèles mathématiques sophistiqués, de termes comme
« théorème », « loi », renforce cette image d’une analyse
économique « scientifique », fondée sur des hypothèses rigoureuses et
susceptible de conduire à des conclusions et des recommandations incontestables
en matière de politique économique, d’autant plus que la vision néo-libérale de
cette discipline est quasiment hégémonique, aussi bien à l’université que dans
les media.
Exposé
en trois questions :
·
Par
quel cheminement de la pensée est-on passé de « l’Economie
Politique » du XVIIIème siècle à la « Science économique » des
XX et XXIèmes siècles ?
·
Les
méthodes utilisées en économie peuvent-elles l’assimiler à une science
« dure » comme la physique ?
·
Si
ce n’est pas le cas comment expliquer alors l’hégémonie de la vision néo
libérale sur le monde universitaire et, plus largement, sur les commentateurs
de la vie économique ?
1. DE L’ECONOMIE POLITIQUE A LA SCIENCE
ECONOMIQUE
- Les fondateurs : Adam Smith, La main invisible, le
marché, la division du travail ; David Ricardo, la valeur travail ;
Jean-Baptiste Say, l’offre et la demande. La problématique : comment se
répartit la richesse produite entre rente, profit, salaire ? Entrepreneurs
et salariés contre rentiers, nobles et propriétaires. Mais Karl Marx : le dernier des classiques. Pousse la logique de la
valeur travail à sa limite. Plus-value, exploitation du prolétariat.
- L’école libérale : on remplace la valeur travail par
« l’utilité » (Bentham, Stuart Mill), et on recherche les conditions
d’un équilibre général de l’économie. Economistes-ingénieurs-mathématiciens :
Walras, Jevons, Pareto , Alfred Marshall. Mais la
crise de 1929 : inspire la réflexion de John Maynard Keynes (La
Théorie générale). Macro économie + déséquilibre persistant des marchés.
- L’après-guerre :
domination des idées keynésiennes,
relance par l’investissement public, plan Marshall, croissance forte (Trente
glorieuses). Mais fin du « modèle » soviétique et affaiblissement des
idées marxistes.
- Le retour en force
du néo-libéralisme
dans les années 1980 : absorption de la théorie keynésienne par la
théorie néo-classique qui s’impose dans les universités américaines (Milton
Friedmann, Paul Samuelson) et qui imprègne les politiques économiques (Reagan,
Thatcher) : le marché a toujours raison, TINA. Création du « prix
Nobel d’économie » en 1969
L’économie
a élargi son objet : au départ étude de la production et de la répartition
des richesses, elle est devenue la science de « l’utilisation optimale de
ressources rares », selon la définition de L.
Robbins : l’économie est la science qui étudie le comportement humain
en tant que relation entre les fins et les moyens rares à usages alternatifs. D’où :
économie du mariage, de la justice....
2. DES METHODES CONTESTABLES
Les
méthodes utilisées par l’analyse économique contemporaine sont-elles logiquement
fondées, notamment en ce qui concerne les hypothèses de départ, la logique qui
sous-tend les démonstrations ou les prévisions auxquelles elle
conduit ?
- Hypothèses
Dans
toute science, il existe des hypothèses simplificatrices, heuristiques (qui
permettent de faire avancer la recherche) : modèle de Newton à une seule
planète pour faire fonctionner la loi de la gravitation.
Dans
la théorie économique néo-classique, les hypothèses utilisées sont souvent très
éloignées du monde réel.
Deux
hypothèses fondamentales :
* L’individualisme
méthodologique : l’homo oeconomicus est un être rationnel, parfaitement
informé, qui cherche en permanence à maximiser sa satisfaction. Pas de groupes sociaux,
pas d’interaction entre l’individu et l’ensemble de la société.
* La concurrence pure
et parfaite, indispensable pour un marché efficient : homogénéité des
produits, atomicité de l’offre et de la demande (aucune entreprise n’influence
le marché), libre entrée et libre sortie, libre circulation des facteurs de
production, information parfaite des offreurs et demandeurs.
* La monnaie :
un simple voile, un instrument d’échange qui facilite les transactions. Pas de
spéculation monétaire.
* La loi de Say :
l’offre crée sa propre demande...
Certaines
hypothèses sont vraiment très éloignées de la réalité :
* Le marché du
travail : plus le salaire est haut, plus les salariés
« offriront » leur travail. Si le salaire baisse, certains salariés
« se retirent » du marché du travail... Que font-ils alors ? De
quoi vivent-ils ?
Rappel
de l’article de Franco Modigliani Prix Nobel en 1985 sur les retraites
Rappel
de l’affirmation de Milton Friedmann : « Les théories véritablement importantes et significatives
ont des hypothèses qui représentent très imparfaitement la réalité. » Qu’importe
que les hypothèses fonctionnent pourvu qu’elles permettent de faire des
prévisions !
- Méthodes
Utilisation
fréquente de statistiques, qui sous-tendent des « modèles » censés
représenter le fonctionnement de l’économie, mais ne font que prolonger les
tendances sans anticiper les ruptures significatives. Pb des corrélations et de
la « tierce cause ». Pb de la construction des données : exemple de la notion
de croissance.
Utilisation
abusive du langage mathématique, notamment depuis les années cinquante et
l’entrée en force des économistes « mathématiciens ». (Exemple de
Nash, Nobel 1994). Article typique de revue économique.
En
fait deux difficultés logiques majeures :
* Les problèmes
d’agrégation : l’économie part d’un comportement micro économique (les
préférences d’un individu entre deux biens) et tente de généraliser à
l’ensemble des consommateurs. Par
exemple, la courbe de demande : quand le prix d’un bien baisse, le
consommateur achète plus de ce bien. Oui pour un bien (et encore...). Mais pour
deux biens ? Pour n biens ? Et le revenu du consommateur ? pour passer des préférences individuelles des
consommateurs à une courbe de demande collective le théorème de
Sonnenschein-Mantel-Debreu (SMD) montre qu’il faut remplir deux conditions :
tous les consommateurs ont le même ensemble
de préférences ; les préférences ne varient pas avec le revenu
* Les problèmes de
dynamique : l’économie néo-classique ignore le temps. Elle fait de la statique comparative et étudie les
conditions pour atteindre un équilibre. Mais l’économie est caractérisée par
un déséquilibre permanent. La mathématique utilisée est principalement
linéaire ; elle laisse de côté des avancées théoriques importantes comme
la théorie du chaos.
- Prévisions
Modèle économétriques : prévoient
les évolutions à très court terme, à condition que les conditions évoluent très
peu. Extrapolations sophistiquées aux résultats souvent contestables.
Mais
surtout, la théorie est incapable de
prévoir les crises majeures, pourtant fréquentes et régulières depuis la
révolution industrielle. Exemple de la crise de 1929 avec Fisher et de celle de
2008 avec Ben Bernanke. C’est comme si la météorologie prédisait le retour
imminent du beau temps et était incapable de prévoir les typhons et les
tornades !
En
fait, ce que « démontre » à longueur d’articles la théorie néo-classique,
c’est que les forces du marché conduisent au meilleur fonctionnement possible
d’une économie ; toute intervention (Etat, syndicats) ne peut qu’éloigner
de la situation optimale.
3. LES RAISONS D’UNE HEGEMONIE
Alors
pourquoi une telle hégémonie de la
« science économique » néo-classique dans le monde universitaire, non
seulement anglo-saxon mais également français ?
·
Les
institutions scientifiques
(universités, centre de recherche) ont leurs règles propres de validation et de
recrutement qui favorisent l’école de pensée dominante. Exemples des grandes
revues (toutes anglo-saxonnes) à comité de lecture ; de l’affaire de la
section « Economie » du Conseil national des universités ;
·
Interventions de
plus en plus fréquentes des grandes entreprises (banques, multinationales) dans
le financement des chaires d’économie. Déjà le cas aux USA. Maintenant en
France : cas de l’école d’Economie de
Toulouse où les entreprises privées financent presqu’à la même hauteur
que l’Etat ; Dauphine : la chaire « assurances et risques
majeurs » financée par Axa, « Santé, risque, assurance » par
Allianz. Pb des salaires de complément versés aux enseignants et des facilités
de recherche.
·
Les
« experts » économiques
qui interviennent dans les média et contribuent à façonner l’opinion publique
sont souvent à la frontière du monde des
affaires et du monde universitaire. D’où des conflits d’intérêts...Exemples
Olivier Pastré (France Culture) mais
aussi actionnaire/gestionnaire de Viveris management qui a des intérêts
importants en Tunisie et qui a connu quelques ennuis avec l’AMF... dont Pastré
est membre du conseil scientifique ! Jean-Hervé Lorenzi : prof
d’économie à dauphine, ancien conseiller industriel d’Edith Cresson... mais aussi
pilier de la Compagnie financière Edmond de Rotschild, membres de multiples
conseil d’administration (Euler-Hermes, BNP Paribas Cardif....)
Mentionner
Inside Job, documentaire américain
sur la crise de 2008.
En conclusion : loin d’être
une science dure, comparable à la physique, l’économie dominante est une
« pré-science », imprégnée d’idéologie. Au mieux une science humaine avec
toutes les fragilités et les incertitudes que cette notion implique, sans lui
ôter pour autant la place centrale qu’elle occupe dans l’analyse de nos
sociétés contemporaines.
On nuancera
le tableau en constatant que la crise de 2008 a favorisé l’émergence d’une
nouvelle génération d’économistes qui s’efforcent de développer de nouvelles
lignes de pensée (par exemple : Piketty ou Keen) et a permis la création
de règles déontologiques visant à éviter les dérives les plus graves.